Nous arrivons au moment où chacun de nous trois s’est vu attribuer son pseudonyme.
Pour Jean-Mi, ce sera le Colonel pour sa faculté d’exiger et parfois même imposer ses décisions. Pour David, de part son attrait à l’enseignement de la métaphysique, au aime-ton-prochain et son côté – comment dire – "davidien" unique que tout le monde connait si bien, nous lui attribuerons le gentil pseudo de Guru. Quant à moi, suite à une histoire de roitelet d’une province de Sumatra mêlé à mon légendaire sens de l’organisation ainsi que mes multiples prises d’initiatives, on me proclamera le Roi. D’ailleurs, le Colonel tenta maintes fois un putsch contre moi, mais en vain, car l’armé restera toujours derrière le pouvoir royal. :-)
Maintenant que la distribution des pouvoirs fut distribuée une fois pour toute, le Roi, le Colonel et le Guru s’en allèrent à la conquête d’Ubud.
Après la visite du temple de l’arnaque, nous arrivâmes à Ubud, la deuxième ville en grandeur de l’île de Bali. Une guest house tout en style religieusement typique, nous donnait l’impression de loger dans un temple millénaire. La nourriture préférée de Mario Bros nous guida vers la Monkey Forest. Installés confortablement à l’abri de la pluie dans un bar, une gente, apparemment perturbée par nos cris de joie, criais : "Fermez vos gueules". Au colonel de répondre : "Tu ne sais pas d’où je viens, tu ne sais pas qui je suis. Je suis le COLONEL !" Cette réplique restera encrée dans notre subconscient pour les jours qui suivirent. Une journée molle précédait celle où nous louions des scooters pour une balade hasardeuse jusqu’au nord de l’île. Nous profitions de la beauté environnante quand soudainement un barrage de policiers corrompus nous arrêta pour requérir leur dû. Possédant un permis international de moto, j’évitais sans difficulté l’amende de dix euros qu’ils suscitaient. Dav et Jean-Mi n’y échappèrent pas. Pendant que mes amis s’allégeaient de leur transgression imaginaire, j’observais le cirque de la corruption qui se déroulait sous mes yeux. Chaque conducteur qui voulait franchir le barrage glissait discrètement dans la main de l’agent un billet de dix mille roupies, moins d’un euro. Plus en altitude, nos savourions un bon café local devant un volcan éteint avant de découvrir par chance sur le chemin retour, le plus vieux temple de Bali. Pour y pénétrer, un balinais nous invita à porter l’habit local avant de nous conter les légendes et récits de l’importation de l’hindouisme à Bali. Une aventure riche en couleurs et en rêves. Une soirée tumultueuse hors de ma chambre déclinait notre séjour dans ce village où le temps semblait s’être arrêté il y a des milliers d’années.
Après avoir raté notre transport, nous partions par nos propres moyens vers les îles Gili. Pendant deux heures, nous brulions notre épiderme à la lueur du soleil équatorien sur le toit du speed boat avant d’arriver à Trawagan, l’une des trois Gili, la plus festive. L’idylle bleue bordée de sable blanc aux reflets turquoisement paradisiaque nous assommait par sa splendeur. À peine débarqués, Andy, un insulaire, nous proposait une chambré agrémentée d’épices prohibées que nous acceptions la peur au ventre de se voir incarcérés ad vitam aeternam. Cette île sans présence policière, nous déversa des torrents de larmes de Dieu tout en pédalant sur mon vélo rose pour l’explorer. Des méduses nous prévinrent que nous n’étions les bienvenus dans notre exploration au tuba. Nous décidions de quitter ce monticule ultra touristique deux jours plus tard pour grimper le volcan Rijani sur l’île de Lombok.
À minuit nous commencions notre ascension. Sept heures de marche de nuit épuisantes au milieu de la jungle nous guidaient vers le sommet du volcan le plus impression de ma vie. Notre guide nous confectionna un bâton de pèlerin nous permettant de soulager par moment nos mollets et cuisses. Passant par quatre aires de repos bien méritées, je sentais, tout comme mes frères, mes muscles se pétrifier par la vue infinie du sommet inatteignable se dressant dans la noirceur de la nuit. Au lever du soleil, nous atteignions le cratère d’une artère de mère nature. En son centre, un volcan malin poinçonnait un lac sulfureux d’une splendeur maladive pendant que le vent glacial nous transperçait. Nous nous réjouissions de notre Nasi Goreng en observant le malicieux macaque quémandant nos restes posant devant mon objectif. Une telle montée nous avait exténués. J’arborais un sourire d’émerveillement en tentant nerveusement d’extirper une lueur de fierté dans les yeux de mes frères Dav et Jean-Mi qui, tels de vielles grand-mères malades, essayaient, à coup de couinements maladifs, de se concentrer sur le spectacle qui nous était offert. Nous descendions cinq heures durant cette montagne en tassant, pas à pas, chacune de nos articulations lombaires et nos genoux. Après avoir gracieusement remercié d’un pourboire notre guide, nous nous effondrions sur nos paillasses rejoignant Morphée pendant douze heures trente d’affilé. Au réveil, nous ne sentions plus nos jambes. Même si avant de dormir nous prîmes soin de nous étirer, chaque marche montante ou descendante était un enfer.
Nous revenions sur l’île de Bali la veille de leur nouvelle année. La tradition veut que ce jour-là la population se regroupe autour de monstres mythiques construits par leur soin et, après la prière collective, elle les charroie dans toute la ville. Une féerie tout en couleur malheureusement gâchée par la pluie. Armés de nos bouteilles d’alcool achetées à prix d’or, nous célébrâmes ce jour festif entre autre en compagnie de Maude, la québécoise, et Oyam, la charnelle londonienne. Le Nyapi, jour du nouvel an, se déroule dans le silence le plus total. Aucun bruit, aucune lampe, aucun n’usage de l’électricité n’est toléré. Il est même interdit de sortir de chez soi. Des gardiens se baladent dans la ville pour s’assurer du respect de ces lois. Toute infraction est répréhensible d’une lourde contravention. Afin de s’assurer d’un confort total pendant cette journée morte, nous nous accordions le luxe d’un hôtel avec piscine. Cloîtrés dans notre prison dorée, nous passions la journée à lire, nager et écrire mon blog. Nous tentâmes en vain de quémander de l’eau chaude pour nos Pop Mie (nouilles en pot) vers vingt heure, mais nous rebroussions chemin car les gardiens du silence approchaient. De justesse et tout en précipitation, sans oublier de s’étaler sur les chaises longues invisibles dans la nuit dépourvue de lune, nous évitions la douloureuse en nous enfermant à double tour dans notre chambre tous feux éteins. En y repensant, j’aurais célébrer trois nouvels ans en trois mois : le nôtre, le nouvel an chinois et le balinais.
Le dernier jour de Jean-Michel était arrivé. Nous retournions à Kuta pour le saluer amplement après quelques achats de souvenirs. Dav et moi trouvions une guest house bien plus confortable qu’à la précédente visite et décidions d’aller refaire une ronde dans la caverne du diable. Une soirée à nouveau largement imbibée. Je réveillais David de justesse car son avion allait décoller sans lui. Un trajet démoniaque de plus de vingt deux heures l’attendait. Pour joindre Darwin, qui normalement n’est qu’à deux heures et demie de vol, il parcourra Bali-Singapour, Singapour-Brisbane, là il ratera son vol pour Darwin à cause d’une interminable attente à l’immigration ; Brisbane-Cairns et finalement Cairns-Darwin. De mon côté, ne partant que le lendemain soir, j’achetais aux prix indonésiens t-shirts, short, tentes, appareil photo compact, montre, nécessaires de toilettes et cigarettes. J’en profitais aussi pour me faire masser, manucure, pédicure et faire faire ma lessive. Je me sentais prêt pour attaquer un nouveau continent. Par souci d’économie, je proposais à Sanne, une suédoise perdue à la recherche d’un logement au prix le plus bas, de partager ma chambre. Proposition bienvenue et acceptée. Mon dernier jour en Indonésie sera de tout repos autour de la piscine à parfaire mon bronzage.
Ma dernière aventure se déroula à l’aéroport. Un agent de sécurité avec qui je sympathisais, me demanda d’enfreindre la loi en lui achetant deux bouteilles d’alcool au tax free. Il les récupéra juste avant de monter dans l’avion.
Ainsi s’achève mon aventure asiatique. Une grande joie emplie mon cœur d’avoir partagé un bout de mon voyage avec mes amis. Ce qui me ravi, c’est de savoir que ce tour du monde en solitaire, ne l’est pas du tout. Je remercie Antoine, Renaud, Jean-Mi et Dav de partager des souvenirs à jamais immortalisés dans mon carnet de route et figés sur images.
Il est l’heure de se retourner et de regarder en arrière. Que vois-je ? Je vois une épopée merveilleuse de cinq mois à travers le Laos, le Cambodge, la Thaïlande, la Malaisie, Singapour et l’Indonésie. Je vois aussi une vie en Belgique qui parait si loin. J’appréhende dangereusement mon retour, mais j’évite d’y penser. Quelqu’un me disait : "Ne profites pas trop car le retour à la réalité n’en sera que plus difficile". Je ne suis pas d’accord. Je pense que plus je jouis de chaque instant passé loin de chez moi, plus je pourrai m’atteler avec acharnement à emboîter un rythme frénétique pour reconstruire une vie écrite à ma façon.
Beaucoup d’enseignements ont profondément contribué à me construire une maturité du voyage. Il existe une énorme différence entre deux semaines de congé et une année d’aventures. Voyager s’apprend et chaque jour délivre une astuce sur la façon d’accoster un étranger, la façon de sourire, la façon d’améliorer son confort tout en se contentant du minimum. Rêvasser sur un bien quelconque ne m’est plus arrivé depuis des mois et j’en suis fier. Maintenant, je garde les pieds sur terre. Je sais pertinemment bien qu’il faut se construire. Tu es un homme lorsque tu possèdes une terre et que tu la fais fructifier. Ce sera mon principal objectif à mon retour au pays, si c’est bien de la Belgique que je parle. Sur ce point, je ne saurais encore me prononcer.
Je terminerai ce billet en disant que j’ai découvert le silence et l’espace ainsi qu’un monde de bon goût et de bon vouloir où la vertu du cœur est la gentillesse, dénominatif commun de tous ces pays d’Asie accroché aux lèvres par des milliers de sourires sincères.
La vertu d’un voyage c’est de purger sa vie avant de la garnir…
NOTRE PARCOURS EN INDONESIE