Bienvenido en Chile !
La topographie des lieux s’était complètement métamorphosée. J’arrivais à San Pedro de Atacama dans ce désert aride où le taux d’humidité ondule autour des dix pourcents et où les étoiles sont si proches et si intenses qu’elles vous tombent dans le creux de la main. Je m’établissais dans la résidence française « La Rose d’Atacama », jouant aussi le rôle de nouveau centre culturel pour la communauté atacaménienne. Je l’ignorais mais le destin avait replacé sur ma route mon coup de foudre éphémère de Cuzco. Anina, la sirène suisse allemande se trouvait dans la même auberge que moi. Une retrouvaille étonnante et explosive nous plongeait dans une brève idylle amoureuse de deux jours, où j’avais l’impression de vivre un rêve éveillé. Nous nous baladions le premier jour en vélo à travers les fissures et la sécheresse du désert.
Le deuxième jour, nous partions en excursion à l’assaut du salar (désert de sel) aux flamands roses, des lagunes majestueuses de Miñique en altitude, de l’oasis asséchée où nous déjeunions et enfin du magnifique lever de lune sur la vallée de la mort.
Une conférence passionnante tenait place au sein du centre culturel. Deux heures captivantes à propos du centre d’observation stellaire ALMA logé à cinq mille mètres d’altitude où l’humidité, filtre parasite, avoisine les cinq pourcents et où les installations sont alimentées en oxygène. Plus tard, nous savourions quelques margaritas en compagnie de Daniel, le porte-parole du centre.
M’étant fait dérober mon téléphone au Pérou, j’utilisais un petit réveil mécanique pour m’extirper du lit. Le souci c’est que celui-ci n’était pas fiable et je m’arrachais de mon sommeil à quatre heures du matin par des tambourinements nerveux sur ma porte. J’étais déjà en retard de dix minutes et le guide d’expédition proclamait sa plus mauvaise humeur matinale. Il ne cessait de me répéter que je n’étais pas en condition pour affronter l’altitude à la vue et au nez des passagers du bus attendant dans la rue. Il ne voulait rien entendre. Je lui disais que mon réveil n’avait pas sonné et que c’était tout, mais il continuait de me prendre la tête. Au final, d’un geste nerveux, je l’écartais de ma route et je grimpais dans la navette et lui criant : Ahora, callate y dejame en paz ! (Maintenant, tais toi et fous moi la paix !). Il s’exécuta. Mes voisins étaient tous de mon avis et trouvaient que le guide exagérait. Moi j’avais juste envie de lui mettre mon poing dans la G. Après deux heures de route glaciale, nous atteignîmes les geysers de Tatio, les plus hauts du monde sous une température de moins quinze degrés. Il fallait absolument y parvenir avant le lever du soleil pour que les vapeurs d’eau soient les plus denses et visibles. Nous déjeunions sur place et je décidais de confronter le guide à sa réaction exagérée qu’il eut envers moi. Il me sortait un discours illogique sur le fait que les personnes qui n’arrivaient pas à se réveiller à temps n’étaient pas capables de supporter l’altitude. Bullshit ! Je lui racontais brièvement mon expérience de trekking de ce dernier mois et je lui extirpais un « lo siento » (je suis désolé) marquant la fin de la guerre et me procurant un sentiment triomphateur. Nous terminions notre visite des geysers par une baignade dans un bassin naturel chauffé par ces cheminées avoisinantes. Nous revenions vers le village en marquant plusieurs arrêts photographiques.
Cinq jours plus tôt, je perdais mon plombage au Pérou. Il décidait à nouveau de se divorcer de moi au milieu du désert chilien. Il me fallait agir rapidement. Malheureusement, aucun dentiste de qualité ne s’était établi dans cette bourgade touristique. Je m’imposais alors un passage d’urgence dans la ville d’Antofagasta, généralement écartée de tout intérêt touristique. Etrangement, c’est ici que je capturais des clichés authentiques. Le dentiste très honnête, m’affirma que pour soigner complètement cette dent qui refusait d’adhérer à la résine synthétique, il fallait faire tout un moule et rester quelques jours sur place où alors me poser une résine temporaire et attendre mon retour au pays. J’optais pour le second choix.
Je transitais par Caldera et les plages immaculées de Bahia Inglesa. Les fiestas patrias (fêtes nationales) se préparaient et la population ornementait ses places, monuments et résidences de couleurs patriotiques. Je me soulageais de trente euros pour un logement face à la mer (la chambre la plus chère de mon voyage jusqu’ici) et profitais de l’air iodé pour écrire mon article sur le Venezuela. Je dégustais pour la première fois de ma vie des ostiones, sorte de coquilles saint jaques, qui réjouissaient mes papilles gustatives. Pabla, vivant à Santiago et de passage pour la fin de semaine, m’accosta et m’introduisait aux us et coutumes locales. Nous finissions chez ses amis autour d’un asado (barbecue) arrosé de vin du pays.
Mon arrêt de cinq heures à Copiapo me permit d’acheter une veste et un nouveau téléphone pour la modique somme de quinze euros avec le même montant en crédit téléphonique.
La Serena est une agréable petite ville non loin du bord de mer. J’y restais deux nuits avant de me diriger vers Pisco Elqui, la célèbre bourgade suspendue au flan d’une vallée de la cordillère reconnue surtout pour la production de son alcool national : le pisco (dont le Pérou et le Chili se disputent l’invention). A la gare de bus de La Serena, le guichetier m’affirmait qu’il y avait un distributeur de billet à Pisco et qu’il me fallait directement sauter dans le bus car son départ était imminent. Evidemment une fois sur place, l’unique distributeur était hors service et en plus n’acceptait pas les cartes étrangères. Je perdais quatre heures dans un aller-retour absurde dont je ne me gênais point d’exprimer mon mécontentement auprès de ce guichetier trop pressé. Il m’offrira le dernier trajet, geste plus que naturel.
Je découvrais le désastre de la veille dans l’hostal San Pedro à Pisco Elqui. La fête nationale avait tout ravagé et Chago, le propriétaire, me priait de l’excuser pour le désordre en m’offrant viande, vin et pisco toute la soirée. Il préférait me voir faire bonne chaire de tout ce surplus en compagnie des ses amis réunis dans le jardin que de le jeter. Je passais une bonne soirée apprenant les expressions chiliennes en sirotant pisco sur pisco sous le scintillement des galaxies voisines. C’est au réveil que je compris que mon estomac ne supportait nullement l’acidité de cette liqueur. Des crises à me plier en deux et empêchant la moindre absorption de nourriture me bloquèrent au lit pendant deux jours. Je sortais de ma tanière avec certainement trois kilos en moins et, toujours faible, je décidais de combattre ce mal en respirant l’air ensoleillé de la cordillère. Je louais un vélo tout terrain et, le ventre toujours vide, je partais explorer la vallée sous un soleil de plomb. De retour, je mourrais de faim et je réussissais finalement mais non sans peine à absorber un sandwich minuscule.
Lors de mon passage en Thaïlande, j’eu la joie de faire la connaissance de Maria Carolina, une chilienne habitant Santiago. Elle me proposait de m’héberger lors de ma traversée de sa capitale, mais jamais je n’eu cru que cela se concrétiserait. Elle suivait mes péripéties sur Facelivre et me contacta pour me rappeler que son invitation tenait toujours. J’avais donc un toit qui m’attendait et pas n’importe lequel, un splendide appartement dans un quartier aisé offrant un vue déroutante sur la cordillère partiellement enneigée. Nous passions trois jours ensemble à se prélasser, visiter la ville, son marché aux poissons, ses parcs et ses quartiers animés. Je l’avais rencontrée en anglais, j’apprenais à la connaitre en espagnol. Le temps était parfait. Le soleil nous incitait à s’écarter de la capitale pour flâner à Valparaiso et Viña del mar à deux heures de voiture dans un labyrinthe de ruelles escarpées serpentant entre d’adorables maisons en taule d’acier accrochées aux collines face à la mer. Lundi matin. Son travail reprenait et je l’abandonnais à sa vie. Elle devrait se souvenir toute sa vie de mon remerciement.
Je quittais une chilienne pour rejoindre une australienne, Nicola (sans “S”) rencontrée au Pérou. Je restais donc à Santiago mais dans un tout autre cadre. J’atterrissais dans une maison d’étudiants cosmopolites désireux d’apprendre l’espagnol. Je savourais quatre autres journées dans cette ville fantastique. J’ingurgitais des Terremoto (tremblement de terre) trompeurs, ces boissons alcoolisées à base de bière, liqueur aux fruits des bois et glace à l’ananas ; je suais mes toxines en courant au sommet du mirador San Cristobal surplombant la ville entière encerclée par ses montagnes ; nous nous offrions quelques délicatesses en dévorant des sushis fluoresçant dans le quartier de Bella Vista ; nous torturions nos fessiers par une cavalcade de deux heures dans une vallée des Andes ; nous sortions en discothèque jusqu’au matin ; je payais plus de sept euros cinquante pour nager dans une piscine municipale (il paraîtrait que la natation est un sport d’élite au chili) ; j’essayais le Mote con Huesillo, une boisson/dessert particulière ; et enfin, j’admirais le couché du soleil sur Santiago procurant une couleur rosée aux montagnes avant de m’en aller non sans ressentir quelques regrets de devoir quitter une ville dans laquelle je pourrais facilement m’installer.
Une nuit de bus et me voilà à Pucòn, porte d’entrée au ski, snowboard, ascension du volcan Villarrica et autres parcs nationaux. Le soleil ne voulait décidément jamais me quitter et il m’offrait une première journée de rêve à glisser sur les pistes enneigées de la station au moyen de mon snowboard loué pour la journée.
Aux aurores, je faisais connaissance avec mon groupe de motivés pour affronter les sept heures d’ascension du volcan. Parmi eux, Julie, Parisienne vraiment très sympathique. Nous nous forgions des muscles en béton en parcourant vingt et une heures de trekking en trois jours tout en refaisant le monde. Le volcan Villarrica fut donc le premier à nous offrir une vue de roi du monde dominant la région des lacs. Le sentier de Cañi nous mit les muscles en état de choc par son mur incliné mais nous récompensait par la suite en nous offrant son lac d’altitude partiellement camouflé sous son manteau de neige. Le parc national de Huerquehue me permit d’expérimenter pour la première fois de ma vie la marche en raquette entre ses trois lacs d’altitude glacés. Nous cuisinions aussi des champignons fraichement cueillis par nos soins. Bref, j’étais tellement proche de la nature que j’eu beaucoup de difficulté à quitter cet endroit.
Puerto Varas était le lieu pour le rafting et le canyoning. Malheureusement, il n’y avait pas assez de touriste pour lancer une expédition. Je partais alors en solitaire à l’assaut du « sandero de la desolacion » où, du haut de mon mirador nudiste au plus proche de la nature, je mirais la vue du lago Todos los Santos durant une bonne heure avant de redescendre en courant jusqu’à l’arrêt de bus. Cette descente rapide fut une grosse erreur car quarte jours durant j’eu des courbatures me faisant redouter la moindre marche d’escalier. Néanmoins, cela ne m’empêcha pas de sortir en solitaire au Barometro, bar branché de la bourgade. Aidé par quelques Cuba libre, je rencontrais Nadia qui m’emmena jusqu’à Puerto Montt à quarante kilomètres de mon lit chez des amis pour converser de nos différences culturelles pendant que le soleil se levait.
Le lendemain je rencontrais Philippe, un français exilé en Argentine, avec qui je me dirigeais vers ma prochaine destination : l’île de Chiloé. Cette partie du Chili au relief ondulé et verdoyant ressemblait en de nombreux points aux pâturages d’Irlande du nord disséminant des milliers de brebis à la laine épaisse, protection naturelle contre la pluie éternelle et le vent austral. Nous posions nos sacs dans un hospedaje (chambre d’hôte) avec vue sur le port et ses palafitos. Ces derniers sont des maisons en bois construites sur pilotis, emblème régional de cette île alimentée par le tempérament de la mer. Nous goutions le Curanto, plat typique et quelque peu étrange à base de coquillages, moules, viande de porc, agneau, pomme de terre et galette de semoule, accompagné d’une soupe aux légumes.
Philippe partait de son côté explorer la réserve naturelle en bord de mer. Moi, je me dirigeais vers l’est de l’île à Tenaùn, petit village paisible et désertique où je pris le temps d’écrire, me balader et contempler la somptuosité de l’église en bois et taule classée par l’Unesco.
Tout au nord de Chiloé, à Ancud, je ressentais un manque profond d’exercice physique. Ma douleur aux jambes enfin atténuée après quatre jours de marche de canard, je décidais de loué un VTT et pédalais sans vraiment savoir où mes roues me guidaient. Après vingt kilomètres, j’aperçus une indication « Pingüineras 10 Km ». Parfait, j’avais une destination. Passant par des paysages paisibles, je marquais quelques poses éphémères pour capturer un lieu, une plage, un tableau, un chef-d’œuvre. Je montais dans l’embarcation pour m’approcher de ces petites créatures adorables regrettant de ne pas m’être muni de mon téléobjectif. Le capitaine de la barque nous informait qu’en cette période de l’année c’était la nidification, justifiant l’absence quasi totale des ces oiseaux plongeurs. Néanmoins, cette balade iodée fut intéressante et me ressourçait avant d’entamer mes trente kilomètres retour vers Ancud.
Je me sentais en grande forme. Bizarrement, il n’avait pas plu sur l’île de la pluie ce jour là. Je quittais donc Ancud et l’île de Chiloé pour la ville portuaire de Puerto Montt. Je ne manquais pas d’effectuer quelques achats vestimentaires stratégiques à bas prix avant d’embarquer sur mon ferry pour entamer ma croisière australe de quatre jours à travers les fiords de la Patagonie.
Mais cela sera le commencement d’un autre chapitre spécifique à cette terre sublime qui mérite un peu de patience car j’y suis actuellement. Je préfère prendre un peu de recul pour avoir le plaisir de revivre une deuxième fois cette épopée captivante par la rédaction de ce récit décalée dans le temps.
D’ici là, amour et respect à la terre !
MON PARCOURS AU CHILI AVANT LA PATAGONIE